Philippe Rochat, l’assembleur de saveurs
Le cuisinier Philippe Rochat fait partie de ces rares personnes qui parviennent tout au sommet de leur art.
Le cuisinier Philippe Rochat fait partie de ces rares personnes qui parviennent tout au sommet de leur art. « Une étoile », « inoubliable », « un grand chef » ont titré les médias au lendemain de son décès inattendu, le 8 juillet 2015, sur une route vaudoise alors qu’il s’adonnait à une autre de ses passions, le vélo. Un virtuose de la gastronomie qui a fait de la simplicité sa marque de fabrique. Au lendemain de la tragédie, ceux qui l’ont connu l’ont décrit comme un homme rigoureux, charismatique, entier et généreux, et qui n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. A l’opposé des chefs autoritaires et colériques qui font le bonheur des émissions culinaires.
Cette rigueur et cette simplicité, il la doit sans doute à son enfance au Sentier, à la Vallée de Joux, où il est né le 29 novembre 1953 d’un père employé aux CFF, André Rochat, et d’une mère d’origine italienne, Angelina Locatelli. Il passe les premières années de sa vie dans ce cadre idyllique, environné des parfums et des saveurs de la cuisine d’Angelina : « Je me souviens de l’odeur de soupe qui s’échappait des marmites. Je regardais ma mère travailler, curieux de tout ce qu’elle faisait. Je me suis toujours senti à l’aise en cuisine, et j’aimais bien manger », racontera-t-il plus tard. Mais ces moments de bonheur et de partage ne dureront pas. Sa mère décède à 35 ans, alors que Philippe n’a que neuf ans.
Son père se remarie alors et déménage à Romont où il reprend un café-restaurant d’excellente réputation, de la cuisine encore, comme si la vie de Philippe était un puzzle où chaque pièce se met en place pour faire de lui une étoile de la gastronomie mondiale. Il fait à 14 ans une apprentissage de cuisinier au Buffet de la Gare de Romont, tenu par le père de l’un de ses amis. À partir de là, plus rien ne l’arrêtera. En 1972, il franchit la Sarine pour aller travailler dans des palaces zurichois, au Savoy Baur en Ville, puis au Baur au Lac, où il peaufine ses armes de grand chef. Le grand tournant se fera en 1980. Cette année-là, il est engagé au Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, où il travaille sous les ordres de Fredy Girardet.
Il tourne à tous les postes de la cuisine, avant d’être nommé chef en 1989. Ainsi, au fil des ans, il développe un style, bien à lui, et un savoir-faire rarement égalé. « Un chef recherche le meilleur, sans compromis », se plaît à souligner ce perfectionniste. Pour lui, la cuisine émerge de la sensibilité, bien avant les considérations esthétiques. L’alliance des saveurs est la clé ! Et il a à cœur d’utiliser des produits locaux et de saison. Au moment où il reprend l’établissement à la retraite de Fredy Girardet en 1996, l’Hôtel de Ville perd sa troisième étoile au Guide Michelin, mais c’est plus pour la forme qu’autre chose. Car, le tenace et talentueux Philippe convainc et la retrouve en 1997 déjà. Il obtient également la note de 19 sur 20 au Gault et Millaut Suisse, tandis que le guide français éponyme écrit : « Crissier abrite toujours le meilleur restaurant du monde ! »
Son brillant parcours s’inscrit pourtant dans une vie marquée par les épreuves, comme si le destin était une médaille à deux revers. Orphelin de mère, il perdra brutalement la deuxième femme la plus importante de sa vie, la marathonienne Franziska Rochat-Moser, qui décède en 2002, emportée par une coulée de neige lors d’une randonnée à peau de phoque au-dessus des Diablerets. Tous les proches se souviennent du chagrin de Philippe. « Il était comme cassé », a dit l’un d’eux. Il poursuivra cependant son activité de cuisinier pendant dix ans, et retrouvera le bonheur auprès de sa compagne Laurence, une Rochat elle aussi, et sportive d’élite, tout comme Franziska.
Philippe Rochat prendra sa retraite en 2012. Une retraite bien occupée. Par le vélo bien sûr, mais aussi par la société de traiteur RSH qu’il a montée avec deux anciens de Crissier et par une petite société de consulting où, dans l’ombre, il dispense ses conseils à quelques restaurants, l’Hôtel des Horlogers, au Brassus : «Je reste profondément attaché à cette vallée de Joux où mon père était cheminot. C’est important de soutenir tout ce qui peut y faire vivre des gens.» Est-ce en souvenir de son père qu’en 2005, il s’allie avec les CFF pour proposer aux voyageurs deux plats mitonnés dans les cuisines de Crissier ? Et pour retrouver les parfums et saveurs de la cuisine maternelles qu’il s’est lancé dans ce dur et passionnant métier ? La vie parfois fait penser à un cercle où tout à sa logique et son sens. Et cela paraît particulièrement vrai quand on se penche sur le destin de Philippe Rochat.
Crédit photo : Christophe95 sous licence CC BY-SA 3.0