Etienne Rochat, épaule à épaule avec le patient

L’enfance d’Etienne Rochat, né en 1962 dans le village de Lignerolle où son père André officie comme pasteur, est marquée par la terre. Il est heureux dans ce village qui le considère comme un gamin de la communauté à part entière, au point qu’il participe aux travaux des champs chez les agriculteurs du village. « J’y avais ma place et j’aimais les travaux des champs. Cela a été le socle de ma vie. » Et il y a aussi des émerveillements. « A l’époque la pollution lumineuse était moins intense qu’aujourd’hui. Regarder la voûte stellaire, la nuit, c’était extraordinaire. »

Les questions de vérité et de lien viennent plus tard. Notamment, en observant, non sans tristesse parfois, les tensions dans les familles et entre les générations. « Mon père avait un rôle de conciliateur. Il retissait les liens et aidait les gens à mieux vivre ensemble, raconte-t-il. Cela a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui avec un souci de l’autre en lien avec ma responsabilité personnelle et une pondération entre les deux. »

Ainsi, après avoir obtenu une maturité scientifique, il s’oriente vers des études de théologie. « La réflexion sur le monde via cette branche m’intéressait, même si à l’époque, je n’ai pas trop approfondi. » C’est qu’il y a tant à faire à Lausanne, découvrir la ville, s’intégrer aux scouts, s’investir au sein des jeunes paroissiens. Jusqu’au jour où il discute avec un professeur qui connaissait la trajectoire de sa famille. « Il était inquiet pour moi, que je me retrouve dans une paroisse vaudoise à reproduire le parcours de mon père. Pour lui, c’était dommage, comme si je m’apprêtais à rentrer dans un moule. » Ce professeur lui présente alors le pasteur genevois Charles Odier, qui rentrait de plusieurs années au Canada. Cette rencontre signifie un pivot dans la vie d’Etienne. « Pourquoi pas moi ? »

Une cousine de sa mère, ainsi qu’une institutrice de Lignerolle, y avaient vécu. « Elles m’ont donné une note positive sur ce pays. » Par hasard – mais peut-on vraiment parler de hasard dans la vie ? – au même moment l’Église unie du Canada cherche quelqu’un pour ouvrir une paroisse à Québec. Etienne se présente. Il est engagé. « Avec mon épouse, nous avons débarqué à Noël 1986, se souvient-il. Quelque 20 ans après la révolution tranquille, il y régnait un vent de liberté et j’ai adoré les paysages infinis , l’espace, tout le contraire de la petite maquette européenne. C’était comme un rêve éveillé. » Il y rencontre des gens merveilleux, beaucoup d’attentions, de patience et une communauté d’accueil. « Un petit coin de planète idéalisé dans ma tête. »

À Québec, il se déleste de ce qu’il y avait à délester, tout en bénéficiant d’une grande liberté d’entreprendre : « Cela m’a sorti de mes rails suisses. Cette expérience m’a rendu plus créatif. » Grâce à cette ouverture, il se pose la bonne question : « Comment agir pour que si je me retourne sur ma vie, je voie un parcours intéressant ? »

En 1990, il entre au CHUV en tant que pasteur aumônier. Et là, se pose à lui une question essentielle concernant la pastorale : comment aborder les patients qui se déclarent protestants, mais ont établi une grande distance avec l’Église ? A cette époque, le ministère d’aumônier est encore très ancré dans une pastorale dite de proposition de la Foi. Mais chez Etienne s’impose l’idée d’une pastorale de soutien. Changeant son regard sur le patient, il pratique « une écoute compassionnelle de l’autre et de son expérience. » Cette approche centrée sur la personne consiste en « un accompagnement non directif, épaule à épaule, » explique-t-il. Mais elle exige une gestion efficiente des processus relationnel et communicationnel, c’est pourquoi Il décide de se former aussi en analyse transactionnelle. Enfin, Etienne consacre les dernières années au développement de modèles de « spiritual care », après avoir effectué une thèse sur le sujet.

Cet homme aux valeurs aussi essentielles que l’humilité, la générosité et le souci de l’autre, se ressource dans la spiritualité et la marche, mais surtout auprès de sa famille. Il se sent parfaitement à sa place à l’hôpital, comme l’oiseau qui après bien des pérégrinations a trouvé son nid.