Cyprien Rochat

La musique dans les gènes

Vêtu de noir, avec sa barbe bien taillée, son petit air de moine et ses yeux concentrés sur son instrument, Cyprien Rochat joue. Chaque jour depuis (presque) toujours, comme si c’était dans ses gènes, ou comme si cela faisait partie de sa constitution. « J’ai commencé par la flûte à bec quand j’avais quatre ans, puis je suis passé à la guitare électrique à l’âge de huit ans, raconte-t-il. Aussi loin que je me souvienne, je me vois faire de la musique. » Sa guitare le suit dans tous ses projets artistiques, et ceux-ci sont nombreux. Certes, il se produit souvent en solo, avec ses propres compositions ou les standards du jazz, quand il n’improvise pas tout simplement en suivant son intuition. Il y a GangstALien, un « délire intergalactique improbable », son projet le plus personnel et développé ; le quartet Sinamon, avec Morgane Gallay et Lionel Friedli ou le légendaire Linton Kwesi Johnson à la notoriété internationale ; sans parler, en 2015, du projet « Allô chez Rochat », dans lequel il accompagne en musique les textes de son père, l’écrivain Jean-Pierre Rochat. Et bien d’autres encore.

Né à Bienne, Cyprien a passé son enfance à Vauffelin, dans la ferme de ses parents, une propriété isolée sur les hauteurs du Jura. « C’était une vie singulière, raconte-t-il, une vie marquée par le rythme de l’agriculture et de l’élevage des animaux. » Son père était, ce qu’on l’on appelait dans les années 70 un hippie. La créativité et l’art tenaient une place centrale dans la famille. « Outre son activité d’écrivain, mon père était très mélomane. À la maison, la musique résonnait tout le temps. C’était du rock, du blues ou du raggae. Moi, j’aimais Michael Jackson. »

Et même les vacances étaient musicales : la famille faisait le tour des festivals, de Nyon à Saint-Gall, en passant par Montreux. « Ces concerts auxquels j’ai assisté enfant m’ont inspiré. J’ai su très tôt que je voulais être musicien. » Au moment où s’est posée la question de se former dans ce domaine, Cyprien a le choix entre deux voies : soit il s’inscrit dans la fanfare du village pour apprendre la trompette, soit il entre au Conservatoire. « Mes parents qui privilégiaient la modernité ont préféré le conservatoire, même si l’idée de jouer de la trompette me plaisait bien. » Mais alors, pourquoi la guitare ? « Au début ce fut un peu par hasard. La guitare est très présente dans les groupes de musique, et elle est mise en avant par rapport aux autres instruments. »

Il atteint rapidement un bon niveau. Sa chance, c’est qu’il aime jouer et apprendre, contrairement à de nombreux enfants pour qui l’apprentissage de la musique est un désir de leurs parents et un fardeau. « J’étais isolé dans notre ferme à la montagne, car c’était difficile de voir les copains. J’avais donc du temps pour mon instrument, se souvient-il. Je considérais l’apprentissage de la musique comme un jeu. C’était un plaisir pour moi, pas une contrainte. D’ailleurs, je n’ai jamais répété, j’ai toujours joué. »

À la fin de l’école obligatoire, Cyprien passe de l’autre côté du miroir et fait un apprentissage de lutherie qui l’initie aux secrets de la fabrication des instruments à cordes : « La lutherie m’a permis de me représenter comment le son est créé par les différentes guitares. De plus, j’ai appris à travailler le bois. Aujourd’hui, je peux construire des objets en bois : la forme, le collage, le travail des pièces. C’était une très belle expérience dans la tranquillité absolue de l’atelier où l’on écoutait de la musique de manière très posée et où le temps s’arrêtait. J’aurais été très heureux comme luthier. » Puis, il entre à la Swiss Jazz School de Berne, avant d’achever sa formation professionnelle avec le diplôme de l’école de jazz de Lucerne, où il obtient également un master en pédagogie.

Ainsi, à côté de sa production musicale, il enseigne depuis 2005, car la scène ne paie pas forcément son homme. « Je fonctionne comme les élèves eux-mêmes : si j’ai devant moi un élève motivé, c’est un énorme plaisir. La guitare électrique est très exigeante, et demande beaucoup de travail, de la régularité et de la discipline, ce n’est pas un jeu de société, même si la pédagogie moderne est plus libre, moins contraignante qu’autrefois. »

La période où le plus important lui semblait de se mettre en avant et d’avoir du succès est derrière lui. Comme si il avait laissé son égo sur le chemin et acquis une sagesse qui le rend heureux : « J’aime réaliser des choses, en profiter et en faire profiter les autres. J’aime me concentrer sur une activité et être dans le temps lent. » Comme autrefois, dans l’atelier de lutherie.