Anne-Frédérique Rochat

Une vie pour le théâtre et les mots

D’une voix à la fois joyeuse et posée, Anne-Frédérique se raconte sans freins, dans la confiance et le plaisir de l’échange. Elle raconte sa passion pour le théâtre auquel elle a consacré sa jeunesse, puis son chemin vers les mots, qui sont devenus histoires, puis pièces de théâtre et romans, comme une lente mue de l’expression du corps à l’expression de l’esprit, produisant ainsi une liste impressionnante d’œuvres qui l’ancrent parmi les chefs de file du paysage littéraire suisse.

© Amélie Blanc

Née en 1977, elle grandit à Clarens, entourée de son père Pierre Rochat, politicien libéral, sa mère Véronique Burnand, et ses deux sœurs, Gaëlle et Delphine, dont elle est l’aînée. Les valeurs familiales sont fortes et traditionnelles, L’honnêteté, la simplicité et l’équilibre forment alors un socle solide. Son enfance, joyeuse et débridée, donne naissance à la femme qu’elle est aujourd’hui. « Nous avions une maison avec un jardin où nous avons beaucoup joué. Nous faisions des mises en scène avec mes cousins et nous nous déguisions. » À l’école, c’était moins facile. Petite fille timide et tendue, on l’emmène voir une psychomotricienne qui lui conseille de faire du théâtre. Elle a sept ans et c’est le coup de foudre : « Je me suis sentie à ma place et n’ai plus jamais arrêté depuis. » Notamment avec Nano Duperrex au Théâtre du Vieux-Quartier à Montreux, où elle reste dix ans avant d’entrer, à 18 ans, au Conservatoire.

Ses parents s’inquiètent de ce choix, craignant pour elle une vie précaire, mais sa passion et sa foi sont trop fortes. Elle n’entend pas ces peurs et creuse son chemin sur la scène. « Pour moi, c’était plus qu’une passion, c’était une évidence. Je n’arrivais pas à me visualiser dans une vie de famille confortable. J’étais prête à tout sacrifier. » Toutefois, le métier est dur, et le téléphone ne sonne pas suffisamment. Des moments de solitude et d’abandon qu’elle peine à gérer, mais qui créent un vide, un espace où germera l’écriture. Elle lit beaucoup, découvre la poésie de Corinna Bille et l’écrivain japonais Haruki Murakami. Puis elle se met à écrire. Sa première pièce Mortifère gagne en 2005 le Prix à l’écriture théâtrale de la SSA, mais n’est pas montée. Puis Apnée, qui gagne le même prix l’année suivante, mais qui cette fois sera mise en scène au Pulloff Théâtres par Nathalie Lannuzel en 2008. Elle écrira quatorze pièces en tout dont seulement sept seront montées. C’est ainsi que peu à peu elle se dirige vers le roman. Elle en publie sept, dont Accident de personne en 2012 ou Miradie en 2018, chez Luce Wilquin à en Belgique. Son dernier roman Longues nuits et petits jours paraît en 2022 chez Slatkine à Genève.

L’écriture chez Anne-Frédérique Rochat se déroule comme le font les rêves. « Il y a une grande part d’inconscient. J’aime me déplacer, inventer et créer des mondes. Et je me nourris de tout, des faits divers, de mes observations, explique Anne-Frédérique. Plus j’avance dans ma vie d’écrivaine, et moins le conscient tient de place. J’aime l’étrangeté, le décalé, l’irréel. » C’est ainsi que son style mêle onirisme et concret. « L’écriture est venue d’un vide de théâtre, même si les deux arts se nourrissent mutuellement. » Lève-tôt, elle écrit quotidiennement, le matin, six jours par semaine, entre une heure et quatre heures par jour.

Pour cette écrivaine douée et disciplinée, les planètes se sont souvent alignées. Elle a remporté de nombreux prix et distinctions, qui lui permettent de continuer dans cette voie à laquelle elle consacre toute son existence à côté du théâtre. « Certes, cette reconnaissance est un bonheur, mais c’est surtout un soulagement au niveau financier. Je trouve que j’ai de la chance. Même si pour quelques succès, il y a tous les échecs et beaucoup de travail invisible. »

Anne-Frédérique Rochat partage sa vie avec le comédien et metteur en scène Michel Demierre, qui est une force et un soutien pour cette écrivaine sensible et anxieuse qui aime les plaisirs simples. « Rien ne me rend plus heureuse qu’un plat de pâtes à l’huile d’olive et un verre de vin rouge, » sourit-elle. Une épicurienne qui cultive la simplicité et l’équilibre, comme dans le jardin de son enfance.